Comme un roman by Pennac Daniel

Comme un roman by Pennac Daniel

Author:Pennac,Daniel [Pennac,Daniel]
Format: epub
Tags: Essai
Publisher: AlexandriZ
Published: 1991-12-31T23:00:00+00:00


III

DONNER À LIRE

42

Soit une classe adolescente, d’environ trente-cinq élèves. Oh ! pas de ces élèves soigneusement calibrés pour franchir vite-vite les hauts portiques des grandes écoles, non, les autres, ceux qui se sont fait renvoyer des lycées du centre-ville parce que leur bulletin ne promettait pas de mention au bac, voire pas de bac du tout.

C’est le début de l’année.

Ils ont échoué ici.

Dans cette école-ci.

Devant ce professeur-là.

«Echoué » est le mot. Rejetés sur la rive, quand leurs copains d’hier ont pris le large à bord de lycées-paquebots en partance pour les grandes «carrières ». Epaves abandonnées par la marée scolaire. C’est ainsi qu’ils se décrivent eux-mêmes dans la traditionnelle fiche de la rentrée :

Nom, prénom, date de naissance...

Renseignements divers :

«J’ai toujours été nul en math... » «Les langues ne m’intéressent pas »... «Je n’arrive pas à me concentrer »... «Je ne suis pas bon pour écrire »... «Il y a trop de vocabulaire dans les livres » « (sic ! Eh ! oui, sic !)... «Je ne comprends rien à la physique »... «J’ai toujours eu zéro en orthographe »... «En histoire, ça irait, mais je retiens pas les dates »... «Je crois que je ne travaille pas assez »... «Je n’arrive pas à comprendre »... «J’ai raté beaucoup de choses »... «J’aimerais bien dessiner mais je suis pas trop doué pour »... «C’était trop dur pour moi »... «Je n’ai pas de mémoire »... «Je manque de bases »... «Je n’ai pas d’idées »... «J’ai pas les mots »...

Finis...

C’est ainsi qu’ils se représentent.

Finis avant d’avoir commencé.

Bien sûr, ils forcent un peu le trait. C’est le genre qui veut ça. La fiche individuelle, comme le journal intime, tient de l’autocritique : on s’y noircit d’instinct. Et puis, à s’accuser tous azimuts, on se met à l’abri de bien des exigences. L’école leur aura au moins appris cela : le confort de la fatalité. Rien de tranquillisant comme un zéro perpétuel en math ou en orthographe : en excluant l’éventualité d’un progrès, il supprime les inconvénients de l’effort. Et l’aveu que les livres contiennent «trop de vocabulaire », qui sait ? vous mettra peut-être à l’abri de la lecture...

Pourtant, ce portrait que ces adolescents font d’eux-mêmes n’est pas ressemblant : ils n’ont pas la tête du cancre à front bas et menton cubique qu’imaginerait un mauvais cinéaste en lisant leurs télégrammes autobiographiques.

Non, ils ont la tête multiple de leur époque : banane et santiags pour le rocker de service, Burlington et Chevignon pour le rêveur de la fringue, perfecto pour le motard sans moto, cheveux longs ou brosse rêche selon les tendances familiales... Cette fille, là-bas, flotte dans la chemise de son père qui bat les genoux déchirés de son jean, cette autre s’est fait la silhouette noire d’une veuve sicilienne («ce monde ne me concerne plus »), quand sa blonde voisine, au contraire, a tout misé sur l’esthétique : corps d’affiche et tête de couverture soigneusement glacée.

Tout juste sortis des oreillons et de la rougeole, les voilà dans l’âge où on chope les modes.



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